La préhistoire des échecs

Entre la Renaissance et la Révolution Industrielle, 3 siècles de pratique n'ont laissé que peu d'archives pour la postérité. Outre l'ancienneté, il n'y avait pas non plus de système de notation digne de ce nom !

L'écriture et les échecs

La finalisation des règles du jeu a coïncidé avec l'essort de l'imprimerie en occident (en asie, l'utilisation de caractères mobiles a précédé Gutenberg de 4 siècles!). Naissait alors l'industrie florissante du livre d'échecs (et aujourd'hui encore, des livres sur les échecs sont publiés en grand nombre - rien que ceux traitant des ouvertures rempliraient des bibliothèques entières).
Grâce à elle, le jeu s'est rapidement diffusé et uniformisé (quelques règles régionales subsistaient, par exemple sur la manière de roquer).

Les 1ers traités (et leurs copies)

On doit à l'espagnol Luis Ramirez de Lucena le 1er livre imprimé sur les échecs (1497) : "Repetición de Amores y Arte de Ajedrez con CL Juegos de Partido". Pour certains, le plus ancien document serait le manuscript de Gottingen (du nom de l'université où il est conservé) parfois daté de 1471, supporté par l'annecdote du Roi Alfonse V du portugal qui en aurait reçu 12 copies en 1474, mais il n'existe aucune preuve de ce fait. D'auteur inconnu, on l'attribue souvent aussi à Lucena, car le style du texte en latin suppose un auteur espagnol et il existe de nombreuses similitudes : 11 des 12 ouvertures du manuscript et les mêmes 30 problèmes se retrouvent en effet dans le livre de Lucena. Mais si le livre de Lucena parle des formes médiévale et moderne du jeu, le manuscript ne traite que du jeu moderne et apparait plus abouti aux yeux de nombreux historiens (dont le célèbre HJR. Murray). Il se pourrait alors que le manuscript soit bien de Lucena, mais postérieur à son 1er livre, dont il serait une réédition (1500~1505) améliorée et dédiée au jeu moderne. Les différentes thèses sont délicates à soutenir, faute de preuves fiables. Même le matériel commun n'est pas un élément suffisant, puisque repris également par de nombreux autres auteurs.

El regreso de Francesch Vicent En 1512, une autre oeuvre importante reprend en effet elle aussi plusieurs exemples, c'est le livre du portugais Pedro Damiano, "Questo libro e da imparare giocare a scachi et de li partiti". En plus des habituels problèmes et collections d'ouvertures, il traite aussi de stratégie et on y retrouve déjà des conseils tels "Ne jouez aucun coup sans but", "avec l'avantage matériel, il convient d'échanger le plus de pièces possible", "Si vous trouvez un bon coup, regardez s'il n'y en a pas un meilleur encore"...

Aux nombreuses positions communes des 3 oeuvres précités, José A. Garzón propose une explication inédite dans son livre de 2009 "El regreso de Francesch Vicent" (l'illustration ci-contre renvoie au site officiel en espagnol). Selon lui, Vicent serait l'auteur du réel premier traité sur les échecs, en 1495. "Libre dels jochs partitis Scachs en nombre de 100" traitait différentes ouvertures et problèmes pour la manière Valencienne de jouer aux échecs (c'est à Valence que la "Dame enragée" a été introduite pour la 1ère fois). Ces positions auraient alors abondamment été reprises par Lucena pour mieux diffuser les nouvelles règles, et sous le pseudo de Damiano, Vicent aurait réédité et amélioré sa 1ère oeuvre.
Cependant, les spéculations autour du livre de Vicent restent inévitables, puisque son dernier exemplaire connu aurait disparu dans le saccage du monastère de Montserrat par les soldats de Napoléon en 1811 (ils utilisèrent les vieux parchemins pour la confection de balles de fusils).
Un intéressant article en 2 parties sur les travaux de Garzón a été publié sur chessvibes, à lire pour qui comprend l'anglais : part1 part2

Notations descriptive et algébrique

Tous les ouvrages anciens décrivaient les coups d'une parties (ou problèmes) par des phrases entières du style "Le Pion du Fou Roi avance de 2 cases" (décrivant le coup f2-f4, le Fou Roi étant le Fou côté Roi, situé sur la colonne f). Dès lors, il n'est pas étonnant que l'on retrouve d'avantage de recueils de problèmes que de parties. Pendant plusieurs siècles, ce fût la principale manière de reproduire le jeu. Cette notation descriptive allait même être encore assez employée jusqu'au XXème siècle, notamment dans les pays anglophones (Bobby Fischer utilisait cette notation!), bien que sous forme abrégée : P-FR4 pour le même coup f4 (le 4 traduisant la 4ème case depuis son camp).

En 1737, Philipp Stamma (syrien naturalisé anglais) fut le 1er à introduire la notation algébrique dans son recueil de fin de parties "Essai sur le jeu des échecs". Souhaitant un système de notation universel (indépendant de la langue), il désignait la pièce jouée par la colonne correspondant à sa position initiale (sauf le pion, désigné par P), puis la case d'arrivée par ses coordonnées (couple lettre-chiffre partant de la case en bas à gauche des Blancs, a1).
Ce système n'allait pas connaître un grand succès, la faute à la notoriété de Philidor qui utilisait la notation descriptive dans ses livres. La notation algébrique finira malgré tout par supplanter la notation descriptive, sous une forme légèrement différente : c'est maintenant par son initiale qu'on indique la pièce jouée, excepté pour le pion (on ne met rien). Moins pompeuse (lisez à voix haute, cela devient alors évident), elle est devenue aujourd'hui la plus utilisée. Notre exemple devient simplement f4.

Notons pour finir qu'avec l'informatique et les polices d'écriture, l'idée de Stamma, une écriture internationale, est devenue réalité. En effet, il est maintenant simple d'utiliser un symbole pour désigner la pièce jouée. Pratiquement tous les imprimés récents utilisent cette écriture.

La façon d'écrire a évolué au cours de l'histoire des échecs :
écritures de Fb5

Les 1ers champions

S'il n'y a que très peu de reproduction de partie avant le XIXè siècle (c'est pourquoi je nomme cette période la préhistoire du jeu), la réputation de certains joueurs a su traverser le temps.

Ruy Lopez de Segura est sans doute le plus ancien champion connu. Ce prêtre espagnol est notamment resté célèbre pour les 1ères analyses de la partie espagnole (aussi appelée Ruy Lopez ;) ) dans son livre de 1561, "Libro de la invención liberal y arte del juego del Axedrez", qui introduit aussi le mot "gambit" et propose la règle des 50 coups. C'est le premier véritable manuel, traitant en détail de toutes les phases du jeu. Ayant battu tous les meilleurs joueurs de Rome l'année précédente (où il était venu pour l'élection du pape Pi IV le 25 décembre 1559), le succès de son livre était garanti!
Des fragments de parties qu'il nous reste de son passage en Italie, on peut noter que le gambit du Roi était le plus souvent employé. Cette ouverture romantique par excellence était donc déjà très populaire!

L'école italienne

Parmis les vaincus en 1560, on compte notamment Paolo Boi, le champion italien (qui aurait joué et gagné... contre le diable!), et Leonardo da Cutri, le jeune espoir. Ce dernier, marqué par la défaite, se jura de prendre sa revanche. Il apprit alors à jouer avec plus de patience et de précision, contrastant avec le jeu rapide enseigné par Paolo Boi dans son académie d'échecs. La rivalité entre les deux italiens fut mutuellement bénéfique. Devenus égaux en force, Léonardo décida de voyager vers l'Espagne, et de 1566 à 1572, il s'est forgé une forte réputation à Gesnes, Marseille et Barcelone.
Tournoi de Madrid 1575 En 1575, il est rejoint à Madrid par Boi car le Roi Philippe II d'Espagne voulait faire s'affronter les meilleurs joueurs de son empire. Ils seront opposés à 2 espagnols : Ruy Lopez bien sûr, et Ceron. En remportant le tournoi (2è Boi, 3è Lopez), Leonardo est alors considéré comme le meilleur joueur de l'époque.
Les 2 italiens allaient ensuite (mais séparément) vaincre à Lisbonne le champion local surnommé "Le Maure", confirmant leur domination sur le jeu.
A la mort de Leonardo en 1587, Paulo Boi (pourtant de 14 ans son ainé) devint le champion par défaut, mais ne sera détrôné que 3 jours avant de mourir (à l'age de 70 ans) après sa défaite contre Alessandro Salvio.

Jusqu'alors, les échecs étaient avant tout pratiqués par la haute société. Pourtant, le premier prodige du jeu, et le plus représentatif du "jeu à l'italienne" (c'est à dire l'attaque du Roi dès les premiers coups, par un jeu de pièce très actif et négligeant les pions) était un joueur d'origine modeste : Gioachino Greco. Un enfant rivalisant avec les adultes était inédit à l'époque (et pour longtemps encore). Le Calabrais devint très vite demandé dans toutes les cours d'Europe, si bien qu'il ne gagnait sa vie qu'en enseignant ou jouant aux échecs. En 1625, il publia un manuscrit de 77 parties courtes (très probablement des compositions) où l'on trouve de célèbres attaques encore enseignées aujourd'hui, notamment avec le plus vieux "mat à l'étouffée" connu, une utilisation très efficace de la paire de Fous dans une variante de la partie italienne (le "Gambit Greco"), ou encore le fameux "sacrifice du Calabrais" (commençant par Fxh7+). Le style reste malgré tout encore assez "primitif", les victoires devant beaucoup à une défense adverse très faible (voire inexistante)... mais c'est aussi ça le style de l'époque.

Après sa mort d'une maladie contractée lors de son voyage vers les Amériques (il léga sa fortune aux jésuites), il faudra attendre plus d'un siècle avant de voir d'autres champions se démarquer.

Les joueurs de Cafés

Cafe de la Régence Après l'Espagne et l'Italie, c'est en France que l'on allait trouver les meilleurs joueurs au XVIIIème siècle. Autre changement : au lieu des cours royales, ce furent désormais les cafés qui accueillaient les joueurs (mais ceux-ci restaient généralement des nobles - qui ont le temps de s'amuser...).
Le haut lieu de l'époque, c'est "Le Café de la Régence". Les joueurs les plus charismatiques pratiquent déjà un jeu que l'on qualifie de romantique, mais les matches restent peu nombreux. Sans organisation particulière, il s'agit d'avantage de parties "amicales" (mais le plus souvent sujettes aux paris d'argent, et pour affronter les plus forts, il faut payer!).

Parmis les premiers maîtres du Café, on retient Sir Kermur, Comte de Legal. Considéré comme le plus fort au tout début du XVIIIè, il est surtout connu aujourd'hui pour sa célèbre miniature, dont le mat final porte son nom. Il fut aussi le professeur d'un des plus forts joueurs de l'histoire des échecs : François André Danican Philidor.
Le style de ce dernier tranchait par rapport à celui de ses contemporains : sans compter sur des pièges, Philidor préférait obtenir un avantage stable, quitte à attendre la finale pour le concrétiser. Il était sans rival, même après la publication de son "Analyse du jeu des échecs", première véritable théorie des échecs. On la résume souvent de nos jours à sa célèbre maxime "les pions sont l'âme des échecs" : il fut le premier à comprendre l'importance de la plus petite unité du plateau, et au lieu de les négliger, il en faisait au contraire la base de son jeu du fait de leur caractère stable. Mais ce serait réducteur de ne retenir que sa théorie sur le jeu des pions, car il soulignait aussi l'importance d'un jeu aux forces coordonnées et à la construction d'un plan. Les analyses de finales sont encore des modèles du genre aujourd'hui (les finales Tour+Pion contre Tour, Tour+Fou contre Tour, Dame contre Tour+Pion, sont associées à son nom). Malheureusement, personne n'a su (voulu) appliquer ses principes, si bien qu'il dominait outrageusement la scène échiquéenne. A partir de 1750 il devait se résoudre à ne plus jouer qu'avec handicap (généralement en jouant les Noirs tout en cédant un coup et le pion f7 à son adversaire). Malgré cela, Philidor continuait à enchainer les victoires face à de nombreux prétendants. Il était aussi un très fort joueur de parties simultanées à l'aveugle ! Avec la révolution française, il dû s'exiler en Angleterre, où il devint très vite l'attraction principale du Westminster Club. Jusqu'à sa mort, aucun joueur ne lui parvint à la cheville.

Après la mort de Philidor, le devant de la scène pouvait être repris par un joueur au style plus conforme à l'époque. Au début du XIXè siècle, Alexandres Louis Honoré Deschapelles était reconnu au Café de la Régence. Il représente le "joueur de café" par excellence : très bon tacticien, il aimait pousser son adversaire à la faute. Il était aussi un fort joueur de wist, de bridge de dames, etc. Sûr de lui, il ne jouait que des parties à handicap, ce qui finira par lui faire renoncer au jeu. En effet, son élève La Bourdonnais allait vite dépasser le maître, si bien qu'il ne pouvait plus espérer gagner avec handicap.


La suite de l'histoire se raconte autour de parties dont on possède encore aujourd'hui des retranscriptions... c'est le réel début de l'histoire du jeu, et de sa maîtrise toujours plus subtile par les champions successifs, en commençant par les romantiques.
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